Après avoir fait l'impasse l'année dernière, l'Etape du Tour qui est annoncé fin octobre, propose un parcours séduisant de 169 km pour 4000 m de dénivelé, il n'en faut pas plus pour me décider à y participer de nouveau. C'est déjà ma 5e Etape du Tour, et c'est toujours magique de participer à un tel événement, tant l'organisation y est top, avec des routes fermées à la circulation, rien que pour nous, et un public massé en nombre au bord des routes pour nous encourager.
Le parcours nous fera partir d'Annecy, pour atteindre le Grand Bornand situé 30 km plus loin, mais il faudra pour cela franchir de nombreuses montées redoutables, et aux pourcentages élevés.
Comme tous les ans, les 15000 places disponibles sont rapidement vendues.
Côté entrainement, je suis loin de mon meilleur niveau cette année. L'hiver a été difficile, et l'entrainement fortement réduit ces derniers mois suite à des problèmes familiaux. Le seul point positif, c'est que j'ai pu reconnaître la plupart des cols, lors de la Grand Bô, il y a 15 jours. En me basant sur les temps que j'avais mis dans les Glières, le col des Fleuries, de Romme et de la Colombière, j'estime mes temps de passage à différents points du parcours, ainsi que le temps global.
J'arrive à Annecy le samedi après-midi, et je rejoins Jean-François dans un camping situé à 6 km de là, que nous avions pris soin de réserver suffisamment tôt. Il est rempli pour l'ensemble de participants à la course. JF qui devait prendre le départ de la course lui aussi, doit se résigner à déclarer forfait pour raison de santé. Etre sur les lieux d'un tel événement, quand on est passionné de vélo, et ne pouvoir participer, est quelque chose de frustrant, mais il l'accepte.
Nous nous rendons à Annecy, dans le but de récupérer nos dossards, et de réceptionner Brigitte à la gare. Se garer à Annecy est mission impossible, tous les parkings sont pleins. Nous tournons longuement à la recherche d'une place, avant de nous rabattre dans une petite rue, située assez loin du centre.
Alors que nous avions prévu de retirer nos dossards, nous arrivons finalement à la gare, à la minute près, en même temps que le train de Brigitte, lui aussi retardé à cause des grèves et de divers problèmes.
Nous profitons de la fin d'après-midi pour nous rendre sur le village, retirer nos dossards, et faire le tour des exposants. Il fait chaud, à l'image du temps annoncé le lendemain pour la course.
Dimanche matin, je me lève un peu avant 5h, car je dois être dans mon SAS de départ à Annecy avant 6h30. Je suis dans le SAS 3 cette année, et c'est plutôt une bonne chose, parce qu'il me permettra, en partant tôt, de profiter un peu plus de la fraicheur, mais aussi de passer dans les Glières avant que les bouchons ne commencent à se former en fin de course.
Le départ de mon SAS est donné à 6h52, mais il s'écoule encore bien 4 ou 5 mn avant que je ne puisse passer la ligne de départ, tant nous sommes nombreux. El Diablo, le mythique supporter du Tour de France est présent au départ, pour nous encourager.
Ca part assez tranquillement dans les rues d'Annecy, et nous nous retrouvons rapidement au bord du lac, sur sa rive ouest. Au bout de quelques km, des paquets de coureurs se forment, et je me retrouve avec quelques uns dont l'allure me convient, et que je me décide de suivre.
La route est plutôt plate, et la moyenne assez élevée, en ce début de parcours. Alors que nous avons contourné le lac par le sud, nous commençons par monter une première côte, puis le col de Bluffy, pas très long, mais qui calme déjà l'allure, et opère des différences de vitesse entre les participants.
Après avoir traversé quelques villages, nous arrivons à Thônes, où démarre l'ascension du col de la Croix Fry, première difficulté du jour. Ce n'est pas le plus dur, mais c'est le plus long, avec quelques bons pourcentages en milieu de montée.
Je double un concurrent, dès le pied du col, il est tout à gauche avec un pignon de 25, voire moins, et semble déjà devoir monter à l'arrache. Je n'ose imaginer dans quel état il sera dans la montée des Glières, parce qu'il me semble avoir été plutôt optimiste dans le choix de ses développements.
Nous traversons quelques villages en cours de montée, où les spectateurs sont là en nombre, en nous encourageant bruyamment au son des cloches. C'est quelque chose que j'apprécie à chaque fois, et une ambiance qu'on ne retrouve sur aucune autre cyclosportive.
Un jet d'eau a été installé dans la montée, pour rafraichir les coureurs, mais tout le monde le contourne, il est encore tôt, et la chaleur loin d'être suffocante pour l'instant. Mais à l'heure où passeront les derniers, je suppose qu'il aura un effet bénéfique sur eux.
J'arrive en haut, et me lance immédiatement dans la descente. Des espaces se sont créés, et je peux descendre sans être gêné.
Il reste une portion de plat, avant de bifurquer à gauche, et de reprendre la route d'Entremont. Je ne me pose pas de question et roule à mon allure, parfois en me callant derrière d'autres coureurs, parfois en menant le train.
Je suis à présent sur une portion du parcours que je connais bien, puisque situé pas très loin du Grand Bornand, et que j'ai déjà emprunté il y a 15 jours sur la Grand Bô. La partie jusqu'au pont qui marque le début de la montée des Glières est assez roulante, et même si elle est toujours ombragée, il y fait moins froid cette fois-ci.
Rapidement, la route s'élève, et les pourcentages de pente indiqués sur mon compteur passent à 2 chiffres. C'est probablement la montée qui est la plus crainte, et on sent bien que personne ne cherche à faire le "kéké" dans celle-ci.
Je suis tout à gauche, et même si la route est assez dense en coureurs, on arrive à dépasser, en faisant parfois preuve de patience. Il faut parfois ralentir fortement pour ne pas accrocher ceux qui nous précèdent, mais tout se passera bien, tant pour moi que les autres coureurs devant moi.
J'atteins le sommet, content qu'il n'y aie pas eu d'incident, et déjà débute le fameux sentier empierré de 2 km, digne des chemins empruntés par les forçats des premiers Tours de France.
Comme une tradition, je revêts un maillot à pois à chaque Etape du Tour, et lorsque j'arrive à hauteur d'un gendarme qui est descendu de sa moto, j'ai droit à un "allez Warren!" amical, en référence bien sûre à Warren Barguil, dernier détenteur du maillot à pois.
J'essaye d'être très vigilant et concentré sur ce sentier. En effet, il y a 15 jours, des passages avaient été rebouchés par des lits de gravier, où les roues s'y enfonçaient, réduisant l'équilibre de façon précaire. Finalement, l'état de ce chemin est bien meilleur à présent. De nombreux véhicules ont dû l'emprunter depuis, et il y a sur toute sa longueur, au moins 2 traces où les roues des voitures ont balayé le gravier. Il me suffit de veiller à ne pas quitter ces traces. J'atteins le sommet, et retrouve la route goudronnée qui fait face au mémorial des Glières.
Je m'engage dans la descente, et sans surprise, retrouve une partie montante peu de temps après. La descente reprend pour de bon ensuite, et est très roulante.
J'arrive à Fillière, où un ravitaillement complet est présent. Comme prévu, je m'y arrête. Nous ne sommes pas loin de la mi-course, mais il reste encore pas mal de dénivelé à franchir.
Je repars, et sitôt se dresse la montée du col des Fleuries. Celle-ci est de difficulté raisonnable, par rapport aux autres. Une moto de gendarmerie me double pendant la montée, et son conducteur me lance à nouveau "Allez Warren!". Je ne l'ai pas reconnu sur le coup, mais je comprends rapidement de qui il s'agit.
Comme lors de la Grand Bô, le vent se fait de face, mais ce sera cette fois-ci moins gênant, tant nous sommes nombreux à monter, et nous pouvons nous protéger facilement les uns des autres.
La descente se fait rapidement et sûrement, car on peut se dépasser sans avoir à prendre de risque.
Il reste à présent une longue partie plate pour atteindre le pied du col de Romme. Je ne la connais qu'en partie, sur la Grand Bô, nous l'avions laissée au profit de la montée du Mont Saxonnex, que nous empruntions en plus.
Cette partie est piégeuse, car il est facile de se mettre dans l'allure des autres et de se mettre dans le rouge. J'essaye d'y faire attention, en jugeant de l'allure des groupes qui me dépassent, soit en prenant leurs roues, soit en les laissant filler.
Alors que je suis dans un petit groupe, le gars qui est devant fait un effort depuis un bon moment, et je me décide à le relayer. Mais je vais finalement faire de nombreux km sans que personne ne me relaye.
Nous arrivons au pied du col de Romme, qui m'impressionne toujours autant par sa pente qui se cabre de façon radicale. Tout ce petit monde qui était tranquillement dans ma roue, n'a plus besoin de moi à présent, et chacun démarre la montée à son rythme.
Alors que la montée s'était bien passée il y a 15 jours, je me sens nettement moins à l'aise cette fois-ci. Il faut dire que la chaleur devient de plus en plus harassante, et elle contribue, en plus des premiers km à plus de 10%, à un état de fatigue générale, qui se fait de plus en plus présent. Je ne me laisse pas influencer par ceux qui montent plus vite que moi, et je m'efforce de maintenir une allure acceptable.
A 2 km du sommet, la fatigue est très présente. Même si je ne ressens pas de crampe, j'ai une sensation de vertiges, et je me décide à faire un arrêt de 2 ou 3 mn, le temps de récupérer et de les faire passer.
Je repars et poursuis jusqu'au col. Je me rappelle de la présence de la fontaine dans le village, et je m'y rends afin d'y remplir mes bidons d'eau fraiche.
La descente jusqu'au Reposoir se fait sans trop de circulation. Il y a un ravitaillement en bas, mes bidons sont pleins, mais je préfère assurer le coup et manger un peu, car je sais que c'est en général un moment de la course où je commence à être dégouté des gels, et puis les ravitos de l'Etape du Tour sont en général bien pourvus. J'y trouve effectivement mon bonheur.
Je ne m'attarde pas trop, et repars dans la montée de la Colombière. En dehors du final, les premiers kms sont en principe moins difficiles que dans le col de Romme, mais je reste très fatigué, et incapable de réduire le nombre de dents à l'arrière. La sensation de vertige me reprends, et je m'impose un nouvel arrêt dans une des zones d'ombre pour récupérer.
Je repars et atteins le final et ses 3 derniers kms à respectivement 9, 10 et 11%. Je dois m'arrêter une nouvelle fois. Il commence à y avoir beaucoup de monde à s'arrêter comme moi, à présent, mais aussi qui commence à monter à pied. Certains se sont même arrêtés pour faire la sieste dans l'herbe sur le côté. Je les envie, car j'ai moi aussi cette lassitude qui me ferait apprécier une bonne sieste, mais je risquerais de m'endormir et de ne me réveiller qu'une heure après. De toute façon, le fin de la montée est proche, et je me fais violence pour aller au bout.
Le col est visible depuis de nombreux kms, il me semble inatteignable, mais je fini par y parvenir.
Il ne reste plus que 10 km de descente, et l'arrivée est au bout. J'essaye de rester concentré, et prends toujours autant de plaisir sur cette route fraichement refaite.
Alors que j'arrive au niveau du Chinaillon, un policier écarquille les yeux à mon passage. Je comprends immédiatement que ce n'est pas pour moi, mais que quelque chose est en train de se passer derrière moi. Aussitôt le policier se met à siffler ardemment pour arrêter l'intéressé. J'entends alors derrière moi, ce que je croyais être le bruit d'une des motos encadrant la course, mais je me fais dépasser avec stupeur par un quad lancé à vive allure dans la descente. Il n'a bien sûre pas le droit d'être là, les routes étant fermées pour l'occasion, à la circulation. J'essaye de ne me pas me laisser perturber par cette scène, et je poursuis la descente.
J'arrive au Grand Bornant, et commence à savourer la longue ligne droite qui mène jusqu'à l'arrivée, sous les applaudissements du public, venu en nombre.
El Diablo est de nouveau présent sur le côté droit de la ligne, et je me dirige naturellement vers lui pour le saluer. Je passe la ligne en me disant que le calvaire est terminé, et que je vais pouvoir relâcher toute la tension nerveuse et physique de la course...
C'est alors que l'impensable se produit. Le quad qui m'avait dépassé dans la descente, surgit de nulle part, face à moi, 2 motos de gendarmerie à ses trousses, dont une qui essaye de le bloquer en arrivant derrière moi. Il ne me reste pas beaucoup de lucidité, mais j'ai la sagesse de ne me pas me mettre en plein milieu de son chemin. Il passe à fond entre les barrières et moi, et tape violemment ma roue avant. Mon vélo a subit quelques dommages qui le rendent impropre à rouler, mais je suis sauf, et je viens d'éviter la catastrophe. Il règne un vent de panique sur l'arrivée. Heureusement, j'apprendrais pas la suite que le quad aura été interpellé quelques secondes plus tard, mettant fin à ses agissements. D'après les articles que j'aurais pu lire par la suite, cet acte n'était manifestement pas d'ordre terroriste, mais il semble être l'œuvre d'un détraqué mental. Quelques cyclistes ayant tout de même été blessés, je souhaite que leurs blessures n'aient pas été trop graves...
Ayant initialement prévu de rentrer à Annecy en vélo, celui-ci n'est plus en état de me le permettre. Fort heureusement, JF aura la gentillesse de venir me chercher en voiture finalement.
Une fois de plus, l'Etape du Tour a rempli ses promesses quand au tracé, à l'organisation, et la convivialité des participants. Pour ma part, cette mésaventure dans le final, m'aura laissé un goût amère, mais je relativise en me disant que ça aurait pu être bien pire.
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